Qui suis-je ?

Jacques Doutaz 

« Au dire des gens, qui suis-je ? » demande Jésus à ses disciples dans l’évangile de ce dimanche. 

Une maxime prétend que tout être humain a trois visages : celui qu’il a, celui qu’il montre et celui qu’il croit avoir. Faudrait-il donc en ajouter un quatrième : celui que les autres nous attribuent ? 

Avouons-le : la question de notre identité n’est pas toujours aussi simple qu’il y paraît. Savons-nous vraiment qui nous sommes ? Le savons-nous tout seuls ? À la vérité, il n’est pas rare que ce soient les autres qui, peu ou prou, par petites touches, nous révèlent à nous-mêmes. Le philosophe Gaston Bachelard va même jusqu’à écrire : « Le moi s’éveille par la grâce du toi ».  

Après la double intervention de Pierre, Jésus ajoute : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même ». Dans une société qui apprend à se méfier des gourous et des relations d’emprise, cette phrase risque fort de générer en nous un certain malaise. On a beau dire que l’amour c’est l’oubli de soi dans le souci de l’autre, tout oubli de soi n’est pas de l’amour. Alors ? Comment entendre cette injonction à renoncer à soi-même ? 

Peut-être faut-il nous demander ce qu’est ce fameux « soi-même » dont parle Jésus. Dieu ne peut vouloir autre chose que notre bien. Ce « soi-même » qu’il s’agit d’abandonner pour suivre le Christ, c’est donc une peau morte, une mue, une exuvie, telles ces fausses images que nous avons de nous-mêmes, parfois jusqu’à les confondre à tort avec notre véritable identité. Si, dans nos relations humaines, nous nous découvrons bien souvent par le truchement de l’autre, la rencontre avec Dieu, qui nous connaît mieux que nous-mêmes, n’est-elle pas plus révélatrice encore ? 

Suivre Jésus, ce n’est jamais se « dépersonnaliser » pour devenir un numéro, sans valeur et sans visage. Au contraire, c’est se (re-)découvrir dans sa lumière, c’est s’envisager à travers son regard créateur, c’est déceler combien notre « soi » a infiniment plus de valeur à ses yeux que nous ne l’imaginons d’ordinaire. 

La question initiale de Jésus en appelle donc une autre : « Aux yeux de Dieu, qui suis-je ? »