Des moutons ? Oui, mais à cinq pattes !

Par Jacques Doutaz

« Avoir la foi, ce n’est pas croire que Dieu existe. C’est croire que j’existe pour Dieu ». Telle est la réponse – un brin déroutante – d’un moine contemplatif à un journaliste. 

Croire que j’existe pour Dieu, moi, à ses yeux, dans son cœur… 

N’est-ce pas ce que rappelle l’évangile du Bon Pasteur ? Le « berger mercenaire » exerce un job alimentaire. Sa motivation, c’est son salaire. Implication minimale à l’égard de ses brebis. Le Bon Berger, au contraire, paie de sa personne pour leur bien. La différence, déjà, est notable. Mais il faut aller plus loin : le Bon Berger ne se contente pas de prendre soin de ses brebis ni même de donner sa vie pour elles ; il les connaît et désire qu’elles le connaissent. Il les trouve et se laisse trouver par elles (Jr 29,14). Il ne connaît pas son troupeau comme une masse confuse, mais par les individualités qui le composent. Pas le troupeau au lieu des individus, mais le troupeau comme des individus en relation, en communion. Le Berger est bon, parce qu’il agrège chacun sans désagréger personne. 

Mais, là encore, il faut aller plus loin : le Bon Berger ne se contente pas de connaître personnellement chacune de ses brebis. Il veut les connaître comme il connaît le Père et comme le Père le connaît (Jn 10,15). La relation que le Christ veut tisser avec chacun de nous, c’est la relation même qu’il entretient avec son Père. Intimité maximale… Toi, c’est moi et moi, c’est toi. Vis de ma vie, laisse-moi vivre la tienne. 

Alors, évidemment, se faire traiter de mouton, dans le langage courant, n’est pas un compliment : esprit grégaire, suivisme, bête à tondre, … Mais dans la parabole du Bon Pasteur, être mouton, c’est avoir vocation à entrer dans l’intimité de la Trinité : nous serons semblables à Dieu, car nous le verrons tel qu’il est (1Jn 3,2). Et pas seulement dans le Royaume, mais déjà, dans une certaine mesure, ici-bas : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jn 14,23). 

Devant pareille merveille, faut-il craindre de détoner un peu en passant peut-être pour un mouton à cinq pattes ? Pour mieux courir vers un tel Berger, toute patte additionnelle est bienvenue.